St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Pierre-Jean de Béranger 17801857
216. Les Souvenirs du peuple
O
Sous le chaume bien longtemps.
L’humble toit, dans cinquante ans,
Ne connaîtra plus d’autre histoire.
Là viendront les villageois
Dire alors à quelque vieille:
’Par des récits d’autrefois,
Mère, abrégez notre veille.
Bien, dit-on, qu’il nous ait nui,
Le peuple encor le révère,
Oui, le révère;
Parlez-nous de lui, grand’mère,
Parlez-nous de lui.’
Suivi de rois, il passa;
Voilà bien longtemps de ça:
Je venais d’entrer en ménage.
A pied grimpant le coteau
Oùpour voir je m’étais mise,
Il avait petit chapeau
Avec redingote grise.
Près de lui je me troublai;
Il me dit: Bonjour, ma chère,
Bonjour, ma chère.
—Il vous a parlé, grand’ère!
Il vous a parlé!
O Paris étant un jour,
Je le vis avec sa cour:
Il se rendait à Notre-Dame.
Tous les cœurs étaient contents;
On admirait son cortège.
Chacun disait: Quel beau temps!
Le ciel toujours le protège.
Son sourire était bien doux;
D’un fils Dieu le rendait père,
Le rendait père.
—Quel beau jour pour vous, grand’mère!
Quel beau jour pour vous!
Fut en proie aux étrangers,
Lui, bravant tous les dangers,
Semblait seul tenir la campagne.
Un soir, tout comme aujourd’hui,
J’entends frapper à ma porte;
J’ouvre; bon Dieu! c’était lui
Suivi d’une faible escorte.
Il s’asseoit où me voilà,
S’écriant: Oh! quelle guerre!
Oh! quelle guerre!
—Il s’est assis là, grand’mère!
Il s’est assis là!
Je sers piquette et pain bis;
Puis il sèche ses habits,
Même à dormir le feu l’invite.
Au réveil, voyant mes pleurs,
Il me dit: “Bonne espérance!
Sous Paris, venger la France.”
Il part; et comme un trésor
J’ai depuis gardé son verre,
Gardé son verre.
—Vous l’avez encor, grand’mère
Vous l’avez encor!
Le héros fut entraîné.
Lui, qu’un pape a couronné,
Est mort dans une île déserte.
Longtemps aucun ne l’a cru;
On disait: Il va paraître.
Par mer il est accouru;
L’étranger va voir son maîre.
Quand d’erreur on nous tira,
Ma douleur fut bien amère,
Fut bien amère.
—Dieu vous bénira, grand’mère,
Dieu vous bénira!’