St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Victor-Marie Hugo 18021885
250. Paroles sur la Dune
M
Que mes tâches sont terminées;
Maintenant que voici que je touche au tombeau
Par les deuils et par les années,
Je vois fuir, vers l’ombre entraînées,
Comme le tourbillon du passé qui s’en va,
Tant de belles heures sonnées;
Le lendemain tout est mensonge!—
Je suis triste et je marche au bord des flots profonds,
Courbé comme celui qui songe.
Et des mers sans fin remuées,
S’envoler sous le bec du vautour aquilon,
Toute la toison des nuées;
L’homme liant la gerbe mûre;
J’écoute, et je confronte en mon esprit pensif
Ce qui parle à ce qui murmure;
Sur l’herbe rare de la dune,
Jusqu’à l’heure où l’on voit apparaître et rêver
Les yeux sinistres de la lune.
A l’espace, au mystère, au gouffre;
Et nous nous regardons tous les deux fixement,
Elle qui brille et moi qui souffre.
Est-il quelqu’un qui me connaisse?
Ai-je encor quelque chose en mes yeux éblouis
De la clarté de ma jeunesse?
J’appelle sans qu’on me réponde;
Ô vents! ô flots! ne suis-je aussi qu’un souffle, hélas!
Hélas! ne suis-je aussi qu’une onde?
Au dedans de moi le soir tombe.
Ô terre, dont la brume efface les sommets,
Suis-je le spectre, et toi la tombe?
J’attends, je demande, j’implore;
Je penche tour à tour mes urnes pour avoir
De chacune une goutte encore.
Comme à pleurer tout nous ramène!
Et que je te sens froide en te touchant, ô mort,
Noir verrou de la porte humaine!
Et l’onde aux plis infranchissables;
L’été rit, et l’on voit sur le bord de la mer
Fleurir le chardon bleu des sables.