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St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.

François-Marie Arouet de Voltaire 1694–†1778

193. A Madame Lullin

HÉ quoi! vous êtes étonnée

Qu’au bout de quatre-vingts hivers

Ma muse faible et surannée

Puisse encor fredonner des vers?

Quelquefois un peu de verdure

Rit sous les glaçons de nos champs;

Elle console la nature,

Mais elle sèche en peu de temps.

Un oiseau peut se faire entendre

Après la saison des beaux jours;

Mais sa voix n’a plus rien de tendre;

Il ne chante plus ses amours.

Ainsi je touche encor ma lyre,

Qui n’obéit plus à mes doigts;

Ainsi j’essaye encor ma voix

Au moment même qu’elle expire.

’Je veux dans mes derniers adieux,

Disait Tibulle à son amante,

Attacher mes yeux sur tes yeux,

Te presser de ma main mourante.’

Mais quand on sent qu’on va passer,

Quand l’âme fuit avec la vie,

A-t-on des yeux pour voir Délie,

Et des mains pour la caresser?

Dans ce moment chacun oublie

Tout ce qu’il a fait en santé,

Quel mortel s’est jamais flatté

D’un rendez-vous à l’agonie?

Délie elle-même à son tour

S’en va dans la nuit éternelle,

En oubliant qu’elle fut belle,

Et qu’elle a vécu pour l’amour.

Nous naissons, nous vivons, bergère,

Nous mourons sans savoir comment:

Chacun est parti du néant:

Où va-t-il? … Dieu le sait, ma chère.