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St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.

Jean de La Fontaine 1621–†1695

161. Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes

UN octogénaire plantait.

‘Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge!

Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage:

Assurément il radotait.

‘Car, au nom des dieux, je vous prie,

Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir?

Autant qu’un patriarche il vous faudrait vieillir.

A quoi bon charger votre vie

Des soins d’un avenir qui n’est pas fait pour vous?

Ne songez désormais qu’à vos erreurs passées;

Quittez le long espoir et les vastes pensées;

Tout cela ne convient qu’à nous.

—Il ne convient pas à vous-mêmes,

Repartit le vieillard. Tout établissement

Vient tard, et dure peu. La main des Parques blêmes

De vos jours et des miens se joue également.

Nos termes sont pareils par leur courte durée.

Qui de nous des clartés de la voûte azurée

Doit jouir le dernier? Est-il aucun moment

Qui vous puisse assurer d’un second seulement?

Mes arrièneveux me devront cet ombrage:

Eh bien! défendez-vous au sage

De se donner des soins pour le plaisir d’autrui?

Cela même est un fruit que je goûte aujourd’hui:

J’en puis jouir demain, et quelques jours encore;

Je puis enfin compter l’aurore

Plus d’une fois sur vos tombeaux.’

Le vieillard eut raison: l’un des trois jouvenceaux

Se noya dès le port, allant à l’Amérique;

L’autre, afin de monter aux grandes dignités,

Dans les emplois de Mars servant la république,

Par un coup imprévu vit ses jours emportés;

Le troisième tomba d’un arbre

Que lui-même il voulut enter;

Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre

Ce que je viens de raconter.